Du Roi Largement Parlé
Ajoutons cependant que la royauté était symbolisée par ‘un tambour, appelé « KARINGA ». Posséder ce tambour signifiait être roi ou s’emparer de lui, aurait été renversé le monarque, d’où la garde et la cachette qui lui étaient assurées. En fait Karinga est l’un des quatre tambours-emblèmes qui étaient considérés comme insignes dynastiques et qui symbolisaient à la fois le pouvoir politico-militaire et la sacralité du souverain.
En parlant de l’idéologie visant à asseoir la domination Tutsi, nous avons distingué la doctrine populaire et la doctrine ésotérique à l’usage des initiés.
Notre interprétation peut être reprise ici à propos de Karinga. Alors que pour la masse du peuple rwandais Karinga était sacré et donc celui qui s’en emparerait serait de ce fait sacralisé, les penseurs de la Cour ne sont pas de cet avis ; pour eux, il ne suffit pas de posséder Karinga pour devenir automatiquement un roi divin. C’est ce que confirme ce poème dynastique « Qui va posséder la royauté, la reçoit des mains de son père. Ne prétendez donc pas qu’une révolution pourrait livrer le Tambour ! Personne, possèderait-il richesses et vaches, s’exposerait au danger de s’en emparer ! Parions si vous le voulez que quelqu’un en fasse l’essai ! S’il ne meurt pas subitement, eh bien, je possède vaches et chefferies : qu’il s’en empare et me donne la mort !
Autour de Kalinga étaient suspendus les organes génitaux des rois et des Bahinza (anciens rois Hutu) vaincus par les rois Tutsi : « Lorsqu’un tambour se garnit, dit le Code-cérémonial de la dynastie, c’est-à-dire lorsqu’un rebelle est mort, un Twa descendant de Mahenehene lui coupe la tête, lui coupe les testicules, et on met ces dépouilles dans un petit panier intonga. Un narrateur de lances vient l’annoncer à la Cour ».
« Le Karinga partageait cet honneur avec trois autres Tambours, Majeurs (Ingabe), ses compagnons », nous dit l’abbé KAGAME. Bien que cet auteur ne parle que des « crânes des rois et roitelets étrangers » – qui « pendaient aux flancs du Karinga… comme trophée indubitable et solennel de la défaite infligée à la dynastie du vaincu » (ibidem), il faut noter qu’aucun Rwandais n’a pu croire à ces crânes, tout le monde savait que les « ornements des tambours royaux étaient bien ceux qui sont décrits dans ce qui était à l’époque le « Code ésotérique de la dynastie », dont il était un des dépositaires.
Aujourd’hui que « la découverte inespérée du texte rituel» permet de se rendre compte de ce qu’était la réalité, on peut mieux mesurer l’amertume et l’indignation manifestées par les Hutu dans leur lutte contre la domination Tutsi. Car le problème du Karinga a été mis au centre de la question Hutu-Tusi et a certainement joué un grand rôle dans la prise de conscience par la masse, des horreurs du régime que les révolutionnaires entendaient changer. Nous examinerons la littérature de l’époque pour mesurer l’ampleur du problème à la fois civil et religieux lié à ce tambour.
Il reste que jusqu’à la révolution Hutu de novembre 1959, Karinga avait gardé son décor, recevant les honneurs royaux et les autres tambours battant pour lui comme ils l’étaient pour le roi lui-même. Tous ces éléments permettent de voir combien complexe et compliquée était la structure des institutions du Rwanda. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce symbole de la royauté qu’était le Karinga, mais dès maintenant on peut mesurer que son rôle fut plus que folklorique