Cet intérêt est double : d’ordre scientifique d’abord et d’ordre plus général.

a) Sur le plan scientifique, l’étude présente un intérêt certain spécialement pour l’Africaniste en général. Si dans certaines parties, cette étude ne semble pas innover, il reste cependant que pour l’ensemble, des éléments nouveaux d’analyse lui donnent son aspect original et font qu’elle constitue une contribution à la sociologie politique du Rwanda.

Il appartient bien sûr à celui qu’intéresse cet aspect scientifique d’apprécier dans quelle mesure notre conviction est confirmée par le contenu de ce travail. Néanmoins, voici quelques éléments qui plaident en faveur de l’originalité de l’étude et par conséquent de l’intérêt scientifique qu’elle mérite.

1. L’insertion de la démarche terminologique dans l’étude du système socio-politique rwandais. Non seulement cette méthode permet de lever une certaine confusion conceptuelle qui caractérise généralement la littérature sociologique rwandaise due à des auteurs d’origines diverses, mais elle peut aussi prévenir tout chercheur non-africain d’une certaine forme d’ethnocentrisme qui le pousse à appliquer tels quels à la réalité africaine des concepts créés pour la réalité occidentale.

2. L’étude du système colonial est faite compte tenu du point de vue des « colonisés ». A notre connaissance, il n’y a pas de précédent sur ce point dans le cas du Rwanda.

3. La période d’administration militaire belge (1916-1925) et surtout l’affaire du Gisaka.

4. Les relations entre l’Eglise et l’Etat (1900-1962). 5. Le rôle de la presse dans l’évolution politique du Rwanda ; la psychologie des leaders de la Révolution de 1959…

b) Sur un plan plus général, il nous a semblé utile pour un Etat récemment indépendant de pouvoir disposer d’une étude aussi objective pue possible sur les événements oui ont précédé F. a venue à l’existence. La connaissance du passé peut être utile pour le présent et pour l’avenir. En ce sens, cette étude n’est qu’une étape d’une recherche ultérieure que nous souhaitons plus complète, plus approfondie et plus exhaustive portant sur l’après-révolution.

Cette étude se divise en quatre parties. La première partie est consacrée à l’analyse du régime et des institutions du Rwanda précolonial. La Révolution rwandaise de novembre 1959 qui bouleversa les rapports traditionnels entre gouvernants et gouvernés, – plus précisément entre les TUTSI et les Hutu- tels qu’ils s’étaient finalement fixés dans les cadres de la monarchie absolue de droit divin, trouva sa première et principale justification dans l’organisation traditionnelle de la vie sociale (chap. I et II). L’analyse détermine la nature de ces rapports en rappelant des faits (qui seront des causes du bouleversement) dans la mesure nécessaire à la compréhension de cette révolution. Elle montre en cette même occasion que l’évolution du système politique n’est pas seulement le fait d’influences et d’emprunts extérieurs, elle est inhérente au système lui-même, en tant qu’il doit surmonter ses conflits et tensions internes.

La deuxième partie, divisée en trois titres ou six chapitres pour raison de clarté (en fait cette partie s’arrête là où s’achève notre sujet), traite de la période de domination européenne.

Le titre premier de cette partie est consacré à la période coloniale allemande. Après avoir situé le Rwanda dans l’histoire universelle des empires coloniaux du XXe siècle, l’analyse s’étend sur ce que fut l’Administration allemande au Rwanda : ses principes, son action, ses réalisations. A travers les faits et les motivations qui entourent ces principes et cette action de l’Administration allemande, nous avons essayé de dégager l’ambiguïté du système colonial par rapport au régime intérieur, c’est-à-dire par rapport aux hommes et aux institutions. Comme le lecteur s’en rendra compte, la courte période de domination allemande au Rwanda n’a pas toujours été bénéfique pour les intérêts de la masse du peuple.

Le titre deux de cette deuxième partie traite des débuts de l’Administration du Rwanda par la Belgique. La victoire de celle-ci sur les troupes allemandes au Rwanda lui confère le droit d’occuper militairement ce dernier pays en attendant que fût décidé en Europe le sort à réserver à l’Allemagne vaincue et à ses anciennes possessions coloniales. La Belgique, à l’instar d’autres puissances coloniales qui occupaient des territoires de l’ennemi, s’employa à consolider sa position au Rwanda (action psychologique sur les habitants, référendum, tractation avec la Grande-Bretagne) avec la détermination d’obtenir un mandat sur ce territoire en compensation de l’effort de guerre consenti. Lorsque la Société des Nations lui confirma le mandat sur le Rwanda, la Belgique avait déjà tracé sa ligne de conduite pour gouverner sa nouvelle possession, une ligne de conduite dont les principes différaient peu de ceux qu’avaient suivis les Allemands : ceux de l’administration indirecte s’appuyant sur les autorités autochtones établies coutumièrement. La politique ainsi définie subira peu de modifications jusqu’à la Révolution et sera en quelque sorte responsable de la détérioration du climat socio-politique et de l’éclatement des institutions. Cette responsabilité apparaîtra au fur et à mesure que cette analyse avancera.

Enfin, le titre trois traite de la position et du rôle de l’Eglise dans le Rwanda colonial. Nous entendons examiner uniquement la position et le rôle de l’Eglise catholique dont l’action marqua la société rwandaise plus profondément que n importe quelle autre institution chrétienne au cours de la période que couvre cette étude.

L’histoire de l’expansion européenne nous apprend que l’évangélisation de l’Afrique a marché de pair avec la conquête coloniale. L’évangélisation du Rwanda n’a pas échappé à la pratique qui s’était imposée ailleurs.

Ce fait historique a souvent influencé les divers comportements et attitudes de l’Eglise vis-à-vis de l’Administration coloniale et aussi à l’égard des gouvernants autochtones et de leurs sujets, soit à l’époque de la domination allemande soit sous celle du mandat ou de la Tutelle belge.

Durant la période de son implantation, on la voit le plus souvent du côté des puissants, solidaire dans son action avec l’entreprise coloniale. Les circonstances du moment semblent l’avoir contrainte à un tel comportement. Cette étude montre qu’à travers les différentes positions qu’elle a prises, l’Eglise a souvent revêtu la forme humaine, elle a assumé sa dimension politique au sein de la société avec le souci d’en retirer des avantages pour sa mission déclarée. Nous avons fixé à 1950 le début du changement dans « la politique » de l’Eglise à l’égard des groupes avec lesquels elle avait entretenu des relations jusque là.

La troisième partie s’attache à montrer comment, dans quelles circonstances et par quels moyens la masse des paysans s’est engagée dans un processus révolutionnaire, dans un climat de conflit ouvert avec ses gouvernants. On peut citer parmi les facteurs principaux qui ont été déterminants dans ce cheminement du peuple : l’anticolonialisme de l’O.N.U, l’apparition d’une élite HUTU en quête de sa définition, la presse « indigène » qui a joué un rôle de mobilisation de l’opinion publique.

En fait, c’est la conjonction de plusieurs éléments qui a sonné le réveil des consciences populaires et qui a permis de les préparer à la conquête de leur dignité, à opérer une réhabilitation de la majorité du peuple rwandais en le libérant de l’emprise du double colonialisme, TUTSI et européen. La quatrième et dernière partie évoque l’événement de novembre 1959 et ses conséquences : si les HUTU ont dû faire leur révolution, celle-ci a été imposée directement par les gouvernants TUTSI.

Le refus de réaliser une réforme des institutions, le rejet des revendications des paysans résumées dans le « Manifeste des Bahutu » a abouti au durcissement des attitudes, à la cristallisation de l’antagonisme HUTU-TUTSI et finalement aux affrontements sanglants de 1959 qui ont donné aux paysans rwandais de remporter leur plus grande victoire dans l’histoire du Rwanda, victoire dont la République proclamée le 28 janvier 1961 et avalisée par le référendum « KAMARAMPAKA. » (= qui tranche les différends), reste le symbole.

Pour conclure, nous donnons une synthèse des causes principales de cette Révolution, devenue désormais un point de départ pour l’intégration et la participation active de chaque élément rwandais à l’histoire nationale.

Nous terminerons en donnant une bibliographie détaillée des sources qui ont servi à la confection de ce travail.

REMARQUES PARTICULIERES

1. La graphie « RWANDA » est l’orthographe considérée et admise par les Rwandais comme la plus proche pour désigner leur pays. Toutefois la littérature coloniale a généralement retenu la graphie « RUANDA ».

Dans cette étude, nous employons le terme « RWANDA », sauf lorsqu’il s’agit de références et emprunts où nous respectons l’orthographe des auteurs cités. Cette exception vaut pour le contexte « RUANDA-URUNDI ».

2. Les habitants du Rwanda se nomment « ABANYARWANDA » (pluriel de : UNUNYARWANDA), traduit en français par « RWANDAIS ». Nous adoptons cette traduction qui est admise et qui est la plus commune.

3. Comme nous l’avons indiqué précédemment, le peuple rwandais est composé de trois groupes ethniques :

ABAHUTU (singulier : UMUHUTU) ;

ABATWA (singulier : UMUTWA) ;

ABATUTSI (singulier : UMUTUTSI).

Les différentes formes que ces mots peuvent revêtir en tant que noms ou adjectifs, au singulier comme au pluriel ont fourni à plusieurs auteurs l’occasion de réaliser des acrobaties linguistiques. Ainsi, on trouve chez des auteurs étrangers des formes comme celles-ci : « des Wahutu., des Muhutu, des Watuzi, des Watussi, des Mututsi, des Abahutu des Abatutsi ».

Les « africanistes », les plus récents ont contourné la difficulté du kinyarwanda en retenant la partie invariable de chaque mot. C’est ainsi que nous avons : un Hutu des Hutu ; un Twa, des Twa ; un Tutsi, des Tutsi.

Ce sont ces formes simplifiées et qui se généralisent que nous utilisons dans nos textes, sauf quand il s’agit de références ou de citations dont nous respectons la forme adoptée par les auteurs.

4. Traduction en français de textes ou mots kinyarwanda.

Comme on s’en rendra compte, cette étude comporte beaucoup de textes traduits de notre langue maternelle en celle de notre lecteur, pour qui cette langue est inconnue, en vue de rendre l’expression de notre pensée plus accessible.

Malgré la bonne volonté, nous devons avouer que les solutions restent quelquefois approximatives. Il existe en effet une profonde divergence des systèmes grammaticaux rwandais et français d’une part, une divergence plus prononcée encore des deux lexiques d’autre part, qui, reflétant celle des deux cultures, posent au traducteur des problèmes auxquels il ne peut donner une réponse parfaite.

Cependant, nous avons essayé de suivre le texte kinyarwanda tant dans sa forme que dans son contenu. Nous avons concilié au maximum le respect du contenu des textes à traduire avec celui que donnait la traduction. Même s’il y a l’un ou l’autre où une périphrase a dû substituer un mot pour qu’il ait un sens dans la traduction, nous nous sommes efforcés de ne pas multiplier ces cas et avons indiqué nos sources, permettant ainsi de vérifier la mesure de notre conformité au contenu du texte original. Il a fallu dans la mesure du possible éviter le risque d’une fausse interprétation de la réalité auquel peut exposer des solutions qui seraient approximatives dans l’ensemble.

Une remarque spéciale doit être faite au sujet du mot kinyarwanda « UBWOKO ». Nous l’avons traduit indifféremment par « race », « ethnie », « caste », « clan ». C’est qu’en fait le mot kinyarwanda semble convenir pour les diverses significations de ces mots français.

Les auteurs sont presque unanimes à ce sujet et on verra que certains mêmes n’hésitent pas à ajouter à ces mots français, celui de «classe » pour expliquer la complexité du contenu de ce mot « UBWOKO ». On pourrait faire à son sujet presque la même analyse que celle qui est consacrée à « UBUHAKE ».

5. Prononciation de quelques lettres dans les mots kinyarwanda.

e comme dans BLE et MERE ; il n’est jamais muet

u comme dans COU, NOUS

i et r souvent confondu dans les publications actuelles comme dans JAGUARD

g   comme dans GARÇON

h    soufflé comme en anglais HAND (main)

s     toujours dur comme dans SOL

sh   comme dans CHAT

shy comme dans CHIEN

   comme dans tchèque