De soi cependant, le terme « Littérature » évoque étymologiquement l’écriture, car il dérive de littera. Les Civilisations à écriture devaient-elles, de ce fait, monopoliser l’usage du terme, lequel aurait été interdit, pour ainsi dire, aux Civilisations sans écriture ? Si pareille argutie avait pu se faire jour, le bon sens aurait pu rappeler aux Civilisations à écriture que, de leur propre aveu, tout ce qui est écrit ne répond pas par le fait même, à la notion de Littérature. Ne répondent à cette notion que les productions intellectuelles conformes à certains critères de valeur plus ou moins exceptionnelle.

On voit par – là que la définition réelle de Littérature s’éloigne notablement de la signification étymologique du terme. Aussi la notion de la sorte élargie aboutit-elle finalement à la formulation d’un genre, qui est « productions intellectuelles », avec ses deux espèces : 1) consignées par écrit, et 2) transmises oralement ; en d’autres mots : la Littérature écrite, et la Littérature orale. Ainsi pouvons-nous, en toute sécurité, — malgré la contradiction étymologique dans les termes, — parler de la Littérature orale du Rwanda.

Lorsque je me mis à rédiger cette étude, d’autre part, on m’avait exprimé le désir de voir réaliser une Anthologie sur ce sujet. Il ne fallait pas trop réfléchir pour se rendre compte qu’une Anthologie sur notre Littérature en traduction française n’était guère concevable, au stade où nous en sommes. Elle supposerait, en effet, que les morceaux choisis relèveraient, – je ne dis pas d’auteurs, problème en soi secondaire, – mais de genres littéraires déjà connus. Ce n’est malheureusement pas encore le cas. Il fallait donc une forme différente de présentation, à la suite de laquelle on pourrait désormais penser, à une anthologie proprement dite. Jusqu’à présent, seul le genre dynastique avait été étudié dans une monographie qui en constitue une Introduction (cf. La poésie Dynastique au Rwanda, Bruxelles, 951). Les autres genres n’avaient été abordés que dans des articles, et de ce fait que d’une manière très limitée.

2. Les études antérieures dont nous nous sommes servi

Au cours de la rédaction, nous avons jugé superflu de citer les principales Revues, auxquelles nous avions confié des études dont la matière a été partiellement utilisée ici. A l’exception d’un seul poème qu’a publié la Revue Lovania d’Elisabethville, dont le texte a été repris en entier (parce qu’il avait été alors traduit in extenso), les autres ont été transformés, par le fait qu’il en avait été donné de simples extraits et que nous les avons maintenant traduits in extenso. Il s’agit des périodiques suivants :

Le Rwanda et son Roi, dans Aequatoria, Coquilhatville, 1945-II

La Poésie pastorale au Rwanda, dans Zaïre, 1947-VII

Bref aperçu sur la poésie dynastique au Rwanda, ibd. 1950-III.

La Poésie du Rwanda, dans Revue Nationale Belge, Bruxelles, 1949-VII.

Une ode guerrière du vieux Rwanda, dans Lovania, Elisabethville, 1950-IX.

3. La prononciation tic certaines consonnes en notre langue

Certains sons de notre langue ont été figurés, dans l’écriture, par le groupement de plusieurs consonnes. On les rencontrera par-ci par-là, dans les noms propres. A partir, par exemple, des sons sa et sha qui ne présentent évidemment aucune difficulté, nous avons shya, shywa et shwa. Si ce dernier se rapproche beaucoup du choi français (dans (choix), les deux autres n’ont aucun équivalent en langues européennes.

Il ne servirait guère beaucoup à nous appesantir sur l’explication écrite de pareils sons il faut entendre un autochtone qui les prononce.

Nous nous arrêtons ici sur des sons très pratiques qu’on rencontrera assez souvent

1. le c se prononce tch comme dans caoutchouc, et avant n’importe quelle voyelle ; ca, ce, ci, co, cu se prononcent donc : tcha, tche, tchi, tcho, tchu ; comme donc dans caoutchouc, ou comme ch dans l’anglais church, Churchill. Vous ne pourrez donc prononcer ca, co, cu comme ka, ko, ku, ni ce, ci comme dans : cela, ciselé.

2.De plus, la voyelle use prononce toujours comme ou français.

3.Ga, ge, gi, go, gu se prononcent : ga, ghe, ghi, go, gu. Ne prononcez donc jamais ge, gi, avec le son j, comme dans : gage et girafe.

4.Le son ny est comme le gn français dans agneau.

Lors donc que vous rencontrez : Nyanza, Nyemina, Nyilingango, Kinyovu, Nyundo, etc., ne décomposez pas en «Ni-anza », etc., mais prononcez : Gnanza, Gnemina, etc., comme en français gagner, agneau.

5.Le « s » entre voyelles ne se prononce jamais « z » ; ainsi Musinga se prononce Mussinga, au lieu de Muzinga.

6.Une remarque sur les syllabes : dans les langues européennes, lorsqu’une voyelle est suivie de deux consonnes (par exemple le premier « i » dans : intelligent, incohérent), la première consonne se rattache à la voyelle précédente pour former une syllabe (intelligent, incorent, etc.)

Il n’en va pas ainsi dans notre langue ; lorsqu’une voyelle est suivie de deux consonnes ou davantage, cette voyelle constitue une syllabe à part, tandis que les consonnes forment la syllabe suivante avec la

Voyelle qui vient après elles. Ainsi :

Ishwagara la chaux, se décompose en ishwagara(4 syllabes).

Rwanda se décompose en Rwa-nda.

Burundi se décompose en Bu-ru-ndi.

Bwongereza (Angleterre) se décompose en Bwo-nge-re-za

Si vous vous permettiez de couper ainsi à la fin de la phrase

Rwan- et da (au début de la ligne suivante), le Rwandais ne devinera pas que vous vouliez écrire sort pays, car il lira : Rwani-da (sauf le cas où il connaît une langue européenne, car alors il sait comment les Européens coupent les syllabes). Pour le broussard, il n’y a que deux sons : Rwa + nda. Comme la langue ignore les consonnes finales sans voyelles, le « n » (dans Rwan-) en recevra une automatiquement pour la rendre articulable.

4. Le système des références : alinéas et notes infrapaginales

Le texte a été réparti en alinéas, numérotés de 1 à 101. Ceci nous permet de renvoyer à tel ou tel passage avec le minimum de sigles lorsque nous en arrivons à une considération ayant quelque rapport d’identité ou de parallélisme avec un exposé antérieur.

En ce qui concerne les notes infrapaginales, nous avons suivi un ordre parallèle. Ces notes explicatives constituent une espèce de chapitre réservé aux renseignements ethnographiques.

On remarquera enfin, au sujet des poèmes, que les vers ont été numérotés dans le même souci de faciliter les références. Le fait de les numéroter par séries de 5 en 5, on le verra immédiatement, ne vise pas à répartir les poèmes en strophes ; il s’agit simplement de faire identifier rapidement les vers auxquels on pourra éventuellement renvoyer.

5. L’identification des localités citées dans l’étude

Lorsqu’il a fallu indiquer les localités, nous nous somme servi de la formule : dans l’ancienne province de… ; depuis l’indépendance du Rwanda, en effet, les structures administratives républicaines ont remplacé celles de l’ancienne monarchie. Le pays est maintenant divisé en Communes, et j’ignore dans lesquelles d’entre elles se trouvent les localités de ma documentation. Ceci est d’autant plus difficile à transposer, que les Communes ont été rebaptisées différemment, pour adopter des noms de cours d’eau et de collines jusqu’ici inconnus. La même difficulté se fait du reste sentir dans les milieux officiels eux-mêmes : on recourt aux noms des anciennes provinces (les Chefferies de l’époque coloniale), pour identifier la zone qu’on a en vue. Notre formule n’est donc pas une méconnaissance des réalités nouvelles qui s’imposent, mais un procédé provisoire auquel nous devons recourir dans la nécessité du moment.

6. Les signes diacritiques

Il en est peut-être qui ne s’intéressent pas aux tons des noms employés ans le texte français, et à plus forte raison à ceux du texte rwandais des poèmes. D’autres au contraire pourraient s’y intéresser grandement.

Tout d’abord, les noms employés dans le texte français n’y ont pas été diacriticisés. Il va sans dire que si nous l’avions fait, nous nous serions imposé une tâche supplémentaire ardue, du fait que certains noms reviennent des dizaines de fois en des passages différents.

Pour satisfaire donc ceux qui s’y intéresseraient, nous avons pensé rejeter les signes diacritiques à l’annexe, sur la liste systématique des noms et des verbes. Le lecteur qui s’y intéresserait retrouverait là ces signes et retiendrait une fois pour toutes l’information dont il aurait besoin. 

Rappelons, enfin, qu’il existe différents systèmes de diacriticisation. Dans les publications antérieures, nous avons toujours employé des accents soit pour indiquer l’intensité du ton (bref ou long), soit pour en indiquer la hauteur musicale (bas, moyen et haut). D’autres peuvent employer, par exemple, le doublement de la voyelle (aa, ee, ii, oo, uu) pour indiquer le ton long. Tout cela est en soi légitime, car les signes sont conventionnels.

Il existe aussi un projet du Ministère de l’Education nationale, visant à imposer un système unique, du moins dans les publications scolaires. En attendant que des directives fermes ne soient imposées, j’emploie cette fois-ci encore les mêmes signes qu’auparavant.

7. La diacriticisation d’un texte diffère de celle d’un mot isolé.

Nous devons souligner un point important concernant l’usage que nous faisons des signes diacritiques. Dans le texte des poèmes, les signes indiqueront le ton phraséologique, tandis que sur la liste systématique, placée en annexe, ils indiqueront le ton isolé. Un mot quelconque pris isolément, en effet, comporte ses tons propres. Mais une fois enfermé dans une proposition, ces tons que nous dirions fondamentaux sont modifiés par ceux des autres mots qui précèdent ou suivent le terme envisagé.

Comme on le remarquera immédiatement, un seul et même mot prendra tour à tour les tons les plus variés, selon qu’il sera encadré de termes qui provoquent automatiquement ces variations. Il faut remarquer cependant que ces modifications ne sont pas désordonnées : elles suivent des règles fixes et nous en avons décrit le mécanisme dans l’étude intitulée « La Langue du Rwanda et du Burundi expliquée aux autochtones (leçons 38 à 40, p. 112-124)

Pour lire correctement le texte de ces poèmes, les régies suivantes sont nécessaires :

  1. Les signes diacritiques ont été posés en fonction de la déclamation, en faisant abstraction des virgules et parfois des points-virgules lorsque ces derniers ne coïncidaient pas avec la pause naturelle entre deux idées. En d’autre mots, en dehors des points, des points d’exclamation et d’interrogation, le déclamateur continue sa tâche, en enchaînant sans arrêt le vers au précédent. Si cette règle n’était, pas prise en considération, nos signes diacritiques seraient faussés.

b) Les signes de ponctuation ne correspondant pas à la pause naturelle ont été introduits dans le texte, non plus en fonction de la déclamation, mais en fonction de la lecture. Nous avons estimé qu’en les omettant, les passages qui en sont affectés auraient, par endroits, présenté des difficultés d’intellection. Le lecteur connaissant la langue de l’original, en effet, peut ne pas s’occuper des signes diacritiques et s’occuper du texte par ses propres moyens. Dans ce cas, il prononcera les mots d’une manière différente, faisant abstraction de la déclamation et les signes de ponctuation lui seront utiles.

c) Si vous adoptez le point de vue de la déclamation, — et que vous voulez donc observer nos signes diacritiques, — vous devez élider toute voyelle suivie d’un mot commençant par une autre voyelle. Si vous négligiez cette directive, vous modifieriez complètement la nature des signes diacritiques qui supposeront que l’élision a eu lieu. Nous n’avons pas élidé nous-mêmes ces voyelles dans le texte, pour deux raisons : tout d’abord, notre transcription est grammaticale et non phonétique, il est évident qu’en élidant régulièrement la voyelle qui ne se prononcera pas, on rend incompréhensible certains mots qui ne se distinguent de tant d’autres que par la voyelle finale. Ensuite, nous avons songé au lecteur qui ne tiendra pas compte des signes diacritiques ; il lui faut les mots sous leur forme naturelle.

d) Enfin, une remarque en soi superflue (puisque celui qui lira le texte original en est par ce fait informé) : les mots terminés en ho, mo, go, et suivis d’une voyelle, se prononcent hwo, mwo, gwo de manière à élider le « o » en retenant le son hw’, mw’. On aura le même phénomène avec certains mots se terminant par la voyelle « u », laquelle se prononcera « w ».