La Poésie Guerrière
1. Notre Poésie Guerrière se divise en deux branches : la branche Lyrique, et la branche Héroïque. Les deux ensemble constituent le grand genre Guerrier. Nous allons tout d’abord nous occuper de la branche Lyrique.
I. IBYIVUGO : LES ODES GUERRIERES
A. Notions liminaires
2. Le poème Lyrique guerrier se dit icyivugo au singulier, ibyivugo au pluriel. Cc substantif est dérivé du verbe réfléchi kwivuga = parler de soi-même ; s’exalter. Le substantif dont la signification réelle est Ode guerrière, répond en conséquence au sens étymologique de : déclamation de sa propre louange.
Espèces d’Odes Guerrières
3. Le poème lyrique guerrier se subdivise à son tour en deux catégories Inningwaet imyato.
Le poème Inningwa est celui qui ne se compose que de quelques dizaines de vers au plus. Comme nous allons le voir plus loin cependant, l’analyse de la documentation recueillie nous révèle une troisième catégorie qui n’a pas retenu l’attention de nos Aèdes en leur classification. Cette catégorie non-classée traditionnellement devrait répondre à la définition des Poèmes Inningwa, mais nous verrons en quoi elle en diffère. Bref, l’essentiel pour la catégorie Inningwa est d’être brefs et de n’être pas divisés en Chants.
Le Poème Imyato (ou plus exactement à imyato) est celui qui est assez long et qui est divisé en Chants.
B. Exemples de Poèmes Inningwa
4. La lecture des poèmes qui vont suivre nous présentera un élément technique de composition : entre le premier et le quatrième vers pour l’ordinaire. L’Aède compositeur insère un vers de filiation fictive. Nous pourrions le traduire (et parfois nous avons été obligés de le faire) par race de, souche de. On dirait qu’il s’agirait d’indiquer le père du guerrier envisagé. Il n’en est rien cependant : il s’agit d’une fiction technique.
Peut-être s’agirait-il d’une transposition ? Nous constatons, en effet, que parmi les plus vieilles odes recueillies, surtout à l’époque de Cyilima II Rujugira, (qui régnait autour de 1700 si on accorde une moyenne de 30 à 33 ans à chaque génération), le nom du guerrier chanté se trouvait en tête du poème et était suivi du nom réel de son père. Il s’agit alors de l’identification réelle du héros.
Ceci se vérifie cependant à ce stade où nous n’avons qu’une seule ode pour chaque héros. Il peut se faire certes que cette unicité de l’ode provienne du fait que les autres auraient été oubliées. Mais ce serait étonnant que cet oubli n’ait pas souffert d’exceptions.
5. a) Du héros RUSHENYI, fils de Ntoranyi, de l’Armée-Sociale Abashakamba (c.à.d. le Tourbillon), de la Compagnie Inyambo I (c.à.d. Vaches-à-longues-Cornes). Le héros vivait sous Yuhi IV Gahindiro, autour de 1790.
Le Perforateur des peltes, (race) du Piqueur-des-boucliers
Je suis un virtuose de l’arc
Un Muhunde vint se balançant avec un bouclier :
5 je lui décochai une flèche et il tomba de tout son long, sans qu’il fût possible de le ranimer, tel celui qu’aurait touché la foudre.
Il y eut du remous parmi les porte-bouclier (ennemis) et je me plantai seul au milieu du sentier, 10 tandis que les ennemis étaient en train de trier les craintifs.
Il semble, en conséquence, qu’à ce stade- là, chaque héros n’avait qu’une seule ode.
On en serait arrivé dans la suite au stade où nos héros tendaient à déclamer plusieurs odes. A partir de ce moment, le nom réel du père aurait été remplacé par une cheville, revenant désormais à exalter le héros lui-même sous forme de filiation fictive. A ce stade, le nom du héros n’est plus partie intégrante du poème : on déclame le poème du héros auquel il appartenait, le nom n’en faisant plus partie.
Voilà pourquoi nous avons traduit le sens réel dudit vers, au lieude le faire précéder par fils de, qui ne s’y trouvait qu’en apparence. Le terme louangeur introduit par cette formule est une cheville. Il en existe évidemment d’autres introduites différemment, bien qu’elles soient plus rares en Poésie Guerrière. Dans ce genre, la Cheville se dit igisingizo,au pluriel ibisingizo(mot de la 6ième classe). C’est un dérivé du verbe (gu)singiza = exalter, louer.
Ce préliminaire étant posé, lisons des exemples de poèmes en question :
Les poèmes suivants sont de la catégorie inningwa :
5. a) (RUSHENYI rwa Ntoranyi)
Rwangiza-mirera
rwa muhanda-ngabo
ndiumuhanga w’ùmuheto.
Umuhunde yàje arambirana isuli
5 ndamurasa arisénya
ntiyasukirwaamazi,
umenya ngo akubiswé n’inkuba:
inkuku zirayagara
inzira ndayîhalîra
10 ababisha bàgisobanura abanyabwoba.
6.b) Du héros GAHUNDE, fils de Nyakaja, membre de la même milice Abashakamba ; mais de la Compagnie Inyambo II, il mourit aux environs de 1920.
Le Frappeur –de-coups-à- même-le- corps
(race) du Viseur-aux-endroits-mortels.
La javeline à la lame blanche
Je l’ai projetéé contre un Muhima, à Gakirage,
5 tandis qu’il en admirait la beauté parfaite,
Moi je le livrai à sa merci et elle le dévora,
Tel un mâle de lion en pleine force.
Voyant qu’elle le dépeçait, je me moquai de lui,
En disant : « Eh bien ! ce n’est pas toi seul !
10 celui aussi du Bunyabungo
Je l’ai traité de la même façon.
7.c ) Du héros KAMHAYANA, fils de Nyantaba, de la milice Ingangura-rugo (c.à.d. Assaillants-d’avant-garde), de la Compagnie Inshoza-mihigo (c.à.d. Provocateurs-des hauts-faits) ; il mourit en 1905.
Le jamais-troubles-de- cœur
Tandis que les lignes de bataille giclent du rouge vif
(race) du Souverain de Mbilima
Je suis un preux que le Lutteur-incontesté a distingué
5 Il m’a chargé d’une bataille qui touchait au sang :
« Eh bien ! le Formidable ! » m’interpela-t-il ;
« (je suis le Projeteur-de-javelines, dis-je :
j’entretiens la haine contre les ennemis
et lorsque nous nous rencontrons j’entre en fureur »
6. b) (GAHUNDE ka Nyakaja)
Inshyikanya-ku-mubili
ya rugema ahica
icumulyéra ikigembe
nalitéye Umuhima kuli Gakirage ;
5 akirangamiye ubwiza
ndalinugabiza liramugasha
nk’ubukombe bw’intare.
‘Mbonye uko limubaga ndamushinyagulira
nti « Aho si wowe wenyiné,
10 n’uw’i Bunyabungo
ni ukwo namugize »
7. c)(KAMHAYANA ka Nyantaba)
Rutajabukwa n’imitima
ingamba; zimisha imituku
rwâ Nyili-Mbilima
Ndi intwali Inkotany yamenye..
5 Yashinze urugâmba rukora amaraso
Ati: “Rwamhingane!”
Nti: “Rukaraga-ndekwe »
nangana n’ababisha
iyo duhuye ndarakara ! »