Ode exaltant le Bouclier de Yuhi V Musinga (qui régna de 1997 à 1931).

Elle fut composée par l’Aède Nyamwasa aux environs de 1920. Ce n’est donc pas un Poème de l’ère héroïque, mais une libre composition de l’époque européenne, aux exploits imaginaires. Le Roi Yuhi V Musinga, (ainsi que l’Aède compositeur lui-même) est membre de la Compagnie Indenga-baganizi = Dépasseurs-des-hésitants, que l’occupation européenne surprit en formation à la Cour. Le compositeur lui-même me le dicta en 1936.Pour mieux faire saisir l’action du Poème, nous le faisons précéder d’un commentaire auquel le lecteur se reportera.

Les exploits fictifs se déroulent à la frontière Nord-Est du Rwanda, contre le Royaume du Nkole (l’Ankole de 1’Uganda) gouverné par le Roi Gahaya. La frontière du Rwanda est supposée commise à la garde d’une Compagnie officielle de la Cour, qui y tient un Camp de Marches (vers 5).Le pays en face, le Nkole, est continuellement visité par des espions qui viennent, renseigner nos guerriers et leur indiquer les régions dangereuses (vers 6). Les guerriers du Nkole déclenchent une invasion et le sous-chef de la localité frontière en avise le Camp des Marches. Notre. Notre Héros se porte au devant de l’ennemi, lui tue un grand nombre et le refoule ; il mutile les tués, leur enlevant le trophée qui prouvera sa victoire.Les jeunes recrues du Rwanda, peu au courant des combats, restent dans le camp, où vont les rejoindre les craintifs.

Le Capitaine de la Compagnie engagée au combat porte la devise guerrière de Héros-Mutilateur (d’ennemis abattus). Il remarque la fougue du Héros et recommande aux Bâtonnistes (section des troupes chargée de saisir le butin) de s’attacher à ce combattant d’élite (vers 15) s’ils désirent faire une abondante saisie. Les compagnons d’armes du Héros sont désignés successivement par leur devise guerrière respective (Prodigue-des-blessures, chagrin-des-pays-étrangers, etc.). Le tambour d’alarme (que l’on conservait toujours dans le Camp) continue à appeler les guerriers de l’intérieur afin qu’ils viennent soutenir la Compagnie officielle (vers 43).

La bataille est dure et les blessés sont nombreux, mais ils gardent le moral bon à la vue des coups heureux que donnent nos porte-boucliers (vers 53). Par moments, la Compagnie semble devoir céder du terrain, mais le Capitaine les conjure à haute voix : « Au nom de Rwogera (nom coutumier de l’ancien monarque Mutara II) ne reculez pas d’un pouce, ou bien alors je ferai dire à la Cour que vous êtes une bande de poltrons !» (vers 55). Les craintifs continuent à faire la sourde oreille aux appels du tambour d’alarme (vers 70). Cette circonstance soulignera davantage la valeur de l’élite qui remportera seule une éclatante victoire, après avoir massacré, jusqu’au dernier, les guerriers envahisseurs du Nkole (vers 73-74). Gahaya, le monarque du Nkole, cherche le salut dans la fuite et se dirige vers la région du Ndorwa gouvernée par le chef Mutana (vers 76). Il donne à ce dernier le conseil de fuir au plus vite, afin d’éviter le désastre qui le menacerait s’il tentait de résister aux vainqueurs du jour.

 

 L’Exalté auprès du tambour-des-audiences par le héraut d’alarmeSouche de l’ImperturbableDe la framée que je préfère aux arcsAyant discerné l’inclination à protéger les frontières5. je donnai pleine tranquillité aux bovidés des Marches.Je les défendis en des endroits redoutés des espions,Apprenant aux guerriers la méthode de manier la bataille.Ceux qui se fiaient à leurs empennéesS’aperçurent que le héraut m’amenait :10. j’avais jonché la route de cadavres mutilésDont la vue achevait de troubler les craintifs.Me comportant en héro de toutes les armées,Par ma rapidité vers le combat je me distinguai des hésitants,Qui durent rester dans le Camp avec les non aguerris.15. Le héros-mutilateur recommanda aux Bâtonnistes :« attachez-vous au brave qu’exalte la Dynastie, dit-il,Puisqu’il est armé de son Bouclier le Colosse,Qui domine les autres de toute la hauteur de l’orleEt dont la vivacité demeure la qualité distinctive,20. les étrangers vont subir une irrémédiable razzia ! »Entendant qu’il exaltait mon Bouclier à l’égal de l’élite,Mes doigts se crispèrent à son énarme,Tandis que ce hérisse de courage refoulait les sagittaires.Dès ma première rencontre avec un archer,25. je pris l’élan pour le frapper de la javeline.Toute la vigueur de l’épaule ayant contribué à donner le coup,La framée le terrassa, telle la foudre des airs.Le tranchant du fer s’étant enfoncé en lui, il gémit.La pointe l’ayant transpercé,30. il l’arrosa de son sang :La hampe le renversa sur son carquoisEt sur son arc il s’affaissa.« La victime du Héros irréprochable, -proclamai-jeLa zagaie vient de le coucher dans la ligne des arcs,35. grâce à sa vivacité qui dépasse la leur ! »La pelte du héros Prodigue-des-blessures vint l’appuyer

Et maintint le verbe haut dans la bataille.L’adversaire qui reçut le coup orbe de son umboServit d’exemple démoralisant pour ses compagnons :40. ivre du coup de la sarisse, il laissa tomber la flèche encochée.« La victime du brave qui refoule les archers, -déclama-t-il-Vient d’être étranglée par la lame de la zagaie,Tandis que retentit encore le tambour d’alarme ! »Les Boucliers ayant serré de près les sagittaires,45. ils frappèrent des coups heureuxVu qu’à leur tête, j’avais déclamé les hauts faits.J’entendis celui du preux Chagrin-des-étrangersPousser des rugissements léonins dans le combat des arcs.Parvenu au centre de la ligne de bataille,50. il l’incendia par ses javelines,Et coucha sa victime au plus fort du danger.Li ayant retranché le trophée :Le vaincu de la pelte du héros Déracinateur,-proclama-t-il-La zagaie vient de l’abattre au milieu des arcs,55. ce qui ranime le courage de nos blessés ! »Les Boucliers ne cessèrent de se dépasser en victimes ennemies :Par le nom de Rwoga, leur Capitaine les fanatisa.Celui du Héros-exalté-dans-les cas- critiques

Voyant que la bataille devenait inabordable pour les craintifs60. se comporta en modèle de vivacité pour les combattants.Ayant abattu sa victime dans le passage du marais,Il en devint plus redoutable.« Sur la victime du Héros-Imbousculable, -déclara-t-il,-J’ai foncé, tel un mâle de lion,65 tandis que vers le combat je me précipitais à course éperdue ! »Alors le Bouclier du Preux Inspiré-terreurEut comme objectif de faire des prisonniers.Sur l’ennemi auquel, dès l’abord, il abreuva sa javeline,Il continua à faire danser la pelte, en proclamant :70 « le vaincu du Bouclier que porte le brave envié des héros,Je l’ai abattu entre les lignes de bataille,Les craintifs hésitant encore à répondre à l’appel d’alarme ! »Celui du Preux Eclair-des-hauts-faitsSe hâta de mettre les arcs en déroute :75 nous jonchâmes le Nkole de dépouilles mortelles,Les peltes s’étant chargées seules de la victoire.Le fils de Ntare courut plus rapidement que les hirondellesEt alla donner de sages avis aux gens de chez Mutana.Vu qu’ils demeuraient aussi dans l’attente de mon attaque,80 ils se hâtèrent de le questionner dès son arrivée :« Puisque te voilà l’oreille basse, lui dirent-ils ;Et que tu es couvert de sang

Ne faisant plus cas de ton arcNe t’apercevant même pas que tu as été blessé :85 dans ton Nkole as-tu laissé homme vivant ? »« Excepté nos envahisseurs ! –répondit-il ; -Ils nous ont fait gémir dès l’aube :Nous en sommes venus aux mains au lever du jour.Parmi eux se détache un jeune héros de belle prestance90 qui a déclamé ses exploits à l’entrée de ma résidence,Se disant Héros-aux-coups-mortels.Nous nous sommes mesurés au petit jour :C’est lui qui m’a réduit à marcher sans escorte,Ayant mutilé ceux qui formaient ma suite.95 Mettez vos bovidés en sûreté,Car c’est un colosse redoutable qui vous attaque.Ainsi qu’avec le Brave-qui-abhorre-les craintifs.Si, avec sa fougue, il vous atteignait,100 jusqu’au dernier, à file, vous seriez exterminés.