18. Nous avons décrit la classification des poèmes guerriers lyriques ; à savoir la catégorie inningwa et celle à Chants (imyato). Ce faisant, nous avons respecté l’opinion générale des spécialistes en la matière, autrement dit les Aèdes et Rhapsodes qui nous ont renseigné. Il est toutefois une catégorie d’Odes qui ne répondent ni à l’une ni à l’autre  des deux catégories. Ils ne sont ni inningwa puisqu’ils sont notablement longs- parfois dans les deux cents vers-, ni imyato, puisqu’ils n’ont pas été divisés en Chants. Ils sont assez nombreux, d’autre part, et se trouvent parmi les meilleurs du genre. Nous en transcrivons deux ci-après à titre de lecture complémentaire.

  1. L’Ode du Héro RUBIBI, fils de Kayiru, membre de la compagnie Ingangura-rugo.

Il fut tué dans l’île Ijwi, autour de 1880. Le compositeur en fut Kanyandekwe, fils de Runigi, mort autour de 1932. Cette ode de 109 vers me fut dictée en 1936, par un Barde de renom, Kamananga fils de Sebajura, parent du Héros Rubibi. L’arme exaltée : le Bouclier (et la lance qui lui est associée dans la Poésie Guerrière).

Le Héros qui réattaque, tandis que les (siens) amorcent la

la débandade,

(souche) du Terroriseur-des-arcs

Le BOUCLIER que n’effraient pas ceux qui le dardentde flèches,

m’asupplié d’aller l’exposer aux blessures,

5. et je n’eus garde de le laisser à mon écuyer.

L’empoignant avec les javelines, jepartis dans l’avant-garde :

mes doigts se crispèrent à son énarme,

ce noble créateur de la bataille,

10. je ne le retins pas dans le groupe de réserve ;

les razzieurs ayant poussé les cris d’appel au secours,

je fus joyeusement emporté pour lui chercher le combat.

Comme il était furieux contre les archers,

Je me gardai bien de l’en détourner.

15. Sachant que moi-même j’en deviendrai un grand favori,

La rapidité me précipita à leur rencontre.

De celui qui ouvrait la marche de leur colonne

je balançai le Bouclier dans la direction,

et ne lui permis plus de retourner vers les siens.

20. Du haut d’une termitière, je pris l’élan

et laissai l’assoiffée de sans s’échapper de mes doigts.

Vu qu’elle est passionnée de de régaler d’ennemis,

Le Trépas, prenant les devants, s’élança pour la guider.

La violence du fer coupa, au passage, la corde de nerfs

25. et son arc en resta au bois recourbé.

Le désir de lui trancher le trophée m’ayant saisi

j’élargis plus que de raison la blessure de mon épée

Après enavoir fait la proie des vautours,

je ne tempérai en rien ma qualité de guerrier d’élite :

30.les siensrevenant à la charge, la bataille exigea ma prénce

et je m’y rendis avec mon Bouclier,

comme il n’entendait pas dégonfler sa furie,

je ne pus le retirer du combat

etle laissai se familiariser avec les batailleurs,

35.comme il devenait colossal au milieu des flèches,

jelâchai bride à mon courroux pour le soutenir :

lestraits qui l’atteignirent furent brisés ;

et les javelinesne bougèrent plus des mains ;

lesempennées furent concassées dans la bataille,

40. et, manquant de hampes, les sagittaires se débandèrent :

ilsse dirigèrent vers leur groupe de réserve,

dufait que je les serrais de près.

Comme ils atteignaient leur commandant,

il posa le premier la question aux combattants

45. « Ce jeune homme, dit-il, enflé de suffisance dans la bataille,

sur qui l’on décoche sans qu’il s’en soucie,

pourquoi vos arcs ne lui ont-ils pas barré passage ? »

« Il lutte en insensé, lui répondirent-ils ;

Personne ne pourrait lui résister, il ne recule pas !

50. De celui qui a lutté avec lui dès notre rencontre,

Il a fait la première victime du jour !

Il a formé la ligne de bataille

Déjà en possession du trophée ! »

« Mais encore, répliqua-t-il, celui que les aigles dévorent,

55. dépourvu de siens qui l’eussent dégagé,

Puisque vous étiez une armée compacte,

Pourquoi n’avez-vous pas repris sa dépouille mortelle ? »

« Il l’a transpercé de la javeline dès notre rencontre, dirent-ils :

C’est un preux auquel on ne peut arracher une victime ! »

60. « Mais, vous qui avez rencontré l’armée dès l’aube, dit-il,

Ce jeune homme dont la rapidité reste fraîche,

Et dont l’orle du Bouclier domine les autres,

Qui se tient entre les deux lignes de batailles,

Et autour duquel pivote le va –et-vient de Rwandais, qui est-il ?

65. « Il s’appelle l’Orné-de-trophées ! » dirent-ils.

– « Moi qui l’ai vu coupant le trophée à Rutebera, (dit l’un)

Le calmerait-on en lui livrant trois hommes

Qu’il ne s’en contenterait pas pour rentrer,

À moins d’avoir abattu également leur Chef !

70. C’est un guerrier qui a déclamé les hauts faits :

Aussi ses traits ne tombent jamais à terre.

Puisque le voilà qui se fraie la voie hors les sentiers,

Il a l’intention de nous coupes la retraite.

Courez vite et cherchons où nous cacher :

75. le voici protégé du Bouclier (dit) Héros des hauts faits ! »

Tandis qu’ils suppliaient le Dieu qui me ralentirait,

Je fus écouté du mien qui les maintint à ma portée.

Je me plantai dans leur voie de retraite,

Et ils rebroussèrent chemin en déroute.

80. De la perpétuellement courroucée contre les ennemis,

Je visai le dos d’unsagiattaire,

Et la pointe de fer le fit s’affaisser sur place ;

La peau de son ventre se déchira :

Ce fut arrosée de son sang qu’elle le transperça,

85. et le rouge vermeil devint comme un lac sur le sol.

Elle lui ordonna d’expier, comme jadis à celui de chez Mutana

Ou à l’autre abattu à Butozo,

Que j’en frappai dès l’engagement du combat.

Je la brandis toujours à l’avant-garde de l’élite :

90. elle m’a favorisé de trophées de trois hommes

Dans les campements de l’Itambi.

Dans les agglomérations de chez Nkundiye

J’ai déclenché la mêlée en étant armé

Et elle fit pousser à un ennemi des gémissements prolongés.

95.Je ne cesserai jamais de la chérir,

L’assoiffée de sang m’ayant élu entre tous :

La main qui la projette ne songerait jamais à l’arc.

Je la porte avec mon Bouclier,

Ce héros qui fait échec aux traits :

100. on l’a taillé également à ma mesure.

Il l’est l’amabilité lorsque je le balance dans la bataille.

Il a débarqué du Kivu en me procurant un homme à tuer :

Il ne put m’échapper et tomba devant le front de ce Bouclier.

C’est avec raison qu’on l’appelle le Familier-des-batailles.

105. Lorsque j’en enserre l’énémie,

Il me vaut une troupe de compagnons :

Je l’ai habitué comme celui du Passionné-des-expéditions,

Mais le nom qui le rend supérieur à ceux des craintifs Est celui de Taille-inégalable-des-hauts-faits.