Umurimira-mfizi , Ububwirize, Ikoro n’Umusogongero
UMURIMIRA-MFIZI (plur. abarimira-mfizi) : littéralement ce sont ceux qui défrichent au profit des bœufs. Mais pour saisir la signification de ce mot, il faut se rappeler que, outre les détenteurs d’ibikingi, certaines personnes, petits éleveurs clients pastoraux ou non éleveurs, furent installés sur les domaines pastoraux, soit par l’autorité politique, soit par le détenteur d’un gikingi lui-même.
Il existait donc deux catégories de personnes que l’autorité politique pouvait installer sur une concession igikingi :
a) ABARIMIRA-MFIZI qu’on peut définir comme étant de petits non éleveurs, généralement ils furent installés dans les bikingi par le pouvoir politique sans l’accord du détenteur d’igikingi (au sens foncier). Les personnes ainsi installés sont qualifiées d’ABAGERERWA POLITIQUES lorsque les terres sur lesquelles elles sont installées sont du domaine « UBUKONDE » par opposition à abagererwa installés par Umukonde (défricheur-propriétaire) moyennant un contrat (voir la première section de ce chapitre).
Du fait de leur installation par le pouvoir politique, abarimira-mfizi non éleveurs ne devaient aucune redevance au détenteur d’igikingi, de même que abagererwa politiques installés par le même pouvoir sur un domaine UBUKONDE ne payaient aucune redevance au propriétaire mukonde.
Par contre, « hors les prestations coutumières en nature et en travail (ibihunikwa-uburetwa : voir plus loin) dues au Mwami, aux chefs et souschefs, l’usufruit des tenures qu’ils occupaient était payé de l’usage du droit coutumier dévolu tant aux représentants du pouvoir politique qu’aux détenteurs de fiefs pastoraux respectivement dans les limites de leurs ressorts territoriaux et celles de leurs ibikingi, de paître leur bétail sur les jachères de leurs fermiers politiques et personnels ».
b) La deuxième catégorie est celle des ABATUNZI, c’est-à-dire des éleveurs mais dont le bétail n’est pas assez nombreux pour en faire de grands éleveurs et donc leur mériter un igikingi. C’est pourquoi ici nous prenons abatunzi dans le sens de « petits éleveurs ».
Simples détenteurs de bétail installés par l’autorité administrative ou par le détenteur d’igikingi lui-même et disposant d’un terrain à usages agricoles, ils n’étaient cependant pas autorisés à paître leur bétail dans leurs propres jachères avant que celui du chef, ou du sous-chef n’y fut passé, ils ne pouvaient y paître leur bétail qu’en second lieu.
On remarque ainsi que, comme dans l’ensemble des cas rencontrés dans cette analyse terminologique, l’usage d’un mot évoque des droits ou des obligations. Le cas d’ABARIMIRA-MFIZI et d’ABATUNZI est significatif à ce sujet. Dès qu’ils sont installés et considérés comme tels, il s’ensuit que de ce fait le droit de pâture dans les jachères notamment leur est enlevé ou du moins est conditionné. Ce droit appartient par priorité aux autorités ou aux patrons fonciers pasteurs (Nyirigikingi : détenteur d’igikingi).
BOURGEOIS en fournit une illustration : « En 1951, écrit-il, on vit même en territoire d’Astrida, des autorités indigènes, se basant sur le droit coutumier ancien, obliger leurs administrés à leur verser un rachat, variant de cent à cent cinquante francs, pour pouvoir paître leur bétail dans leurs propres jachères de sorgho. Cette exigence parut abusive, néanmoins, la question n’est pas tranchée jusqu’à présent « 1953 »
UBUBWIRIZE.
Ce droit, comme d’ailleurs UBUGERURE déjà écrit est étroitement lié à la notion d’IGIKINGI dont il constitue en quelque sorte le corollaire.
Le droit d’UBUBWIRIZE peut être défini comme étant « le droit de pacage du bétail des autorités coutumières ou des suzerains pastoraux dans les pâturages et dans les jachères des petits éleveurs et cultivateurs installés :
– dans les ibikingi soit par le pouvoir politique, soit par eux-mêmes :
– dans leurs propres tenures. Mwami, chefs et sous-chefs jouissaient de ce droit :
– à leur profit (chefs et sous-chefs) et sans limitation de superficie, sur les jachères de pois, haricots, maïs et sorgho des cultivateurs (abarimira-mfizi) installés à leur intervention dans les tenures inkungu;
– à raison de 1/3 de la superficie, dans les fiefs pastoraux des pasteurs privés. De ce fait, le titulaire du fief était libéré définitivement de l’obligation de soumettre ses pâturages à un nouveau prélèvement (d’après A. GATSINZI, alors juge-suppléant de territoire de Kibuye – note de mars 1957).
– une fois par an, à la saison sèche, à raison d’un tiers des jachères et éteules de sorgho appartenant aux petits éleveurs établis dans leurs propres terres et ne disposant pas de réserve de pacage. Les suzerains vachers en usaient :
– à concurrence d’un tiers des ibisigati, ibikorera et umugutu des cultivateurs installés dans leurs ibikingi ;
– dans les mêmes proportions que l’autorité politique à l’égard des éleveurs installés dans leurs ibikingi et ce en sus des prestations résultant d’un contrat de bail à cheptel » (508) •
Il semble de ce texte que le droit d’UBUBWIRIZE s’exerçait sous de multiples aspects et profitait en fait, à quiconque, autorité politique ou suzerain pastoral, détenait le pouvoir de concéder du terrain.
Si un simple détenteur de bétail n’était autorisé à paître son bétail dans ses propres jachères qu’après le passage du bétail du chef ou du souschef, le cultivateur (umurimira-mfizi = celui qui cultive au profit du bétail et donc du maître du bétail) était contraint de subir sans murmurer l’exercice d’un droit qui pouvait être, de surcroît, concédé aux tiers par l’autorité politique ou le détenteur du gikingi foncier pastoral.
Les notions d’Ubugerure et d’ububwirize montrent deux droits apparemment très semblables. Cette ressemblance ne doit pas cependant nous cacher la différence qui existe et sépare même ces droits.
En effet, il est important de remarquer que là où le droit d’UBUBWIRIZE est saisonnier et donc passager, le droit d’UBUGERURE est définitif, ce qui le rapproche du droit de GUTORA : « lorsqu’un sous-chef est nommé et que n’ayant pas de pâturages suffisants pour lui-même, se voit dans l’obligation de prélever sur différents ibikingi de son ressort. Et sa nouvelle acquisition est appelée «UBUGERURE», mais il est évident qu’en ce sens l’ubugerure devient synonyme de l’INTORE, propriété personnelle du sous-chef ».
Une autre différence, non moins importante est la convertibilité du droit d’UBUBWIRIZE en droit d’UBUTORE (GUTORA) = choisir pour s’approprier) comme le montrent les débats du Conseil du Mwami.
A la question de savoir si « le chef peut CEDER d’une façon définitive ses droits sur les prélèvements saisonniers de pâturages (UBUBWIRIZE) qu’il possède dans la chefferie, il fut répondu « négativement, alléguant que le chef détient ses pâturages en sa Qualité de représentant de l’autorité politique et qu’en conséquence les pâturages appartiennent à ses successeurs ».
Mais quand la question fut posée de savoir si « le chef de chefferie peut TRANSFORMER les prélèvements saisonniers pâturages (ububwirize) en prélèvements à caractère définitif (ubutore) où les vaches du chef pâturent toute l’année », le Conseil répondit affirmativement. Du même coup, le même conseil admit que le chef peut céder définitivement ces prélèvements ububwirize « du moment que lesdits pâturages (ububwirize) seraient devenus LTBUTORE » (ibid.).
Ainsi peut être perçue la façon dont « la coutume » pouvait être et était maniée à l’avantage des gouvernants. C’est ce que semble indiquer un des chefs membre de ce Conseil quand dans sa conclusion il souligne « combien est vain le principe précédemment relevé, oui déniait au chef de pouvoir de céder définitivement les prélèvements des pâturages saisonniers (ububwirize) puisqu’il peut y parvenir tout de même par des voies détournées ».
Ce caractère de convertibilité du droit Ububwirize était absent dans le droit d’Ubugerure.
IKORO.
«On a réuni ces tributs (sur les produits récoltés, fabriqués et obtenus par la chasse, ainsi que les loyers de terre) sous le vocable d’IKORO dus par les Bahutu et les Batwa ».
1. IKORO RPUBUTAKA (tribut sur la terre de culture). Ce tribut était constitué d’impôts valant loyer de terre et était dû aux patrons fonciers Tutsi par les Hutu.
2. IKORO RY’IBIHUNIKWA (de guhunika : engranger). Ce tribut concerne les produits qui peuvent être conservés longtemps. « Ils n’étaient dus au Mwami que par les régions à forte production agricole ; partout ailleurs, chefs et sous-chefs percevaient cet impôt à leur profit, tandis que leurs capitas « Abamotsi », collecteurs attitrés, ne manquaient pas d’y puiser à pleines mains leur part qui s’intitulait de l’euphémisme UMUSESEKARA ».
3. UMUSESEKARA : de GUSESEKARA déborder. Le trop plein. « Ces impôts, perçus non point par individu, mais par ménage occupant une concession « Isambu » se composaient en théorie et annuellement d’IPFUKIRE et d’URUTETE ».
4. IPFUKIRE : du verbe GUPFUKA = couvrir. Il s’agit d’une « charge de 8 à 15 kg de haricots ou de pois ».
5. URUTETE : panier à claires-voies, rempli de sorgho en épis. Généralement il avait une contenance de 15 kg. Le contenu est ici désigné par le contenant.
6. IBIHUNIKWA : Redevance qui comporte une assiette fondamentale uniformément composée des deux fruits essentiels de la tenure : le sorgho et le haricot (ou parfois le pois). Chaque tenancier est annuellement astreint à acquitter entre les mains du chef local direct :
1° un panier dit « URUTETE » (voir ci-dessus) ;
2°un panier dit « Ipfukire ».
7. IKORO RY’INGABO OU IKORO RY’UMUHETO : impôt dû par le fermier au titre militaire par le chef de clan Muhutu à l’autorité Mututsi, au titre d’hommage ou de rapports de bon voisinage, à moins que le bailleur ou ses ancêtres n’eussent fait partie d’une formation guerrière Mututsi ». Ce tribut avait pour origine la défaite des Hutu par les Tutsi. Ce n’était donc pas un impôt foncier proprement dit. C’était le tribut de soumission guerrière dû aux autorités Tutsi et consistait soit en houes, lances, bracelets, nattes, cruchons de miel, cruches de bière, produits vivriers.
INYAMBIKE : dérive du verbe « KWAMBIKA » = vêtir, habiller. L’appellation vient du fait que les responsables de la collecte de ce tribut marquaient le bananier choisi d’un signe, indiquant ainsi que le régime que porte ce bananier est réservé et est destiné à l’autorité.
Ainsi INYAMBIKE désigne « un régime de banane imposé à l’agriculteur au profit de l’autorité locale ».
En parlant des avantages qu’avaient les autorités en vertu de leur qualité, SANDRART écrit :
« …le chef était autorisé par l’usage à prélever à son choix dans chaque bananeraie, et ce sans limite de fréquence, un régime de fruits. Un de ses émissaires était spécialement chargé de ce prélèvement, ainsi que du « marquage », car au moment de la coupe du régime choisi, le percepteur en marquait aussitôt un autre, soit en l’entaillant légèrement. L’arbre (le bananier) ainsi réservé prenait le nom d’INYAMBIKE ».
UMUSOGONGERO : du verbe GUSOGONGERA = goûter, déguster. Il s’agit de « la part que se réservaient chefs et sous-chefs sur l’IKIRO prélevé au profit du Mwami ».